AMANDA, film de Mikhael Hers,2018
Une allégorie naïve de la résilience
Se lever à l’arrache. Emmener sa gamine à l’école. Faire sa journée de travail. Rentrer à l’heure des devoirs… Ainsi les jours s’égrènent pour une mère pressée qui élève seule sa fille de 7 ans. Au coin de la rue, voilà son frère David, un jeune homme léger, élagueur de son métier. Il se ballade en ville, pilote des touristes, aide sa tante de temps à autre. Le temps est clair, printanier, chaud. Paris XIème est beau. Les bords de Seine parcourus en vélo illuminent les visages. On écoute Elvis Presley (Elvis has left the building), on danse, on rie, on s’étreint. Au détour d’un pique nique familial, la catastrophe survient. Une scène de guerre civile déchire le bel été. Au bois de Vincennes, une foule en joie est frappée. Sidération. David fait penser à Fabrice à Waterloo. Sonné, figé, tétanisé. Rien de ce qui se passe ne lui est intelligible. Autour de la mère morte, la maison implose. ✔Cris, larmes, déchirement. On mesure ce qui sépare la violation intime de la violence pétaradante des tueurs en moto. La pulsion de mort se répand par métastases. Le trou laisse un édifice familial précaire en lambeaux.
Voilà que le jeune homme de 24 ans se cogne à une réalité qu’il ne peut assumer. Son identité est trop fluide. Sa vie perchée dans les arbres est sans racines. Faute d’ancrage, il ne peut rien élaborer. Il se ferme, se protège de ce monde devenu hostile. Il vit plus que jamais au ras de son insouciance. C’est une pierre lancée au gré du vent comme le Meursault de Camus. Encore abasourdis, sa nièce et lui promènent leur fragilité dans les rues inondées de soleil, veulent entrer dans un parc bouclé par les militaires. Ne voient-ils pas que Paris est dépeuplé dans une atmosphère de couvre feu ? Ensevelis dans leur deuil privé, ces somnambules ne saisissent rien de ce qui leur arrive (cf photo ci dessus).
Malgré lui, le voilà en première ligne. Comment faire face ? Comment se conduire dans la tempête avec si peu de ressources ? Pas d’aide psy, pas de soutien moral ou spirituel. Une branche familiale trouée se recompose pourtant au milieu du chaos. Le jeune oncle et sa nièce réalisent qu’ils doivent se réparer ensemble. En refusant l’orphelinat, il se met la hauteur de ce défi. Le droit l’aide à changer de place : il lui est signifié qu’un conseil de famille va décider qui sera le tuteur. Comme un canal d’irrigation, l’arbre parental va fixer les forces de vie. Le frère devient le père, sa nièce sa fille possiblement adoptive. Autour de cet axe juridique, voilà que la tante puis la grand-mère reviennent en soutien. Cette coagulation de la vie porte l’élan de recomposition. Et voilà qu’ils peuvent ensemble parcourir Paris à bicyclette comme pour se réapproprier le territoire profané de la ville.
On voudrait croire à cette belle allégorie de l’autoréparation. Elle reste cependant angélique quand on sait à quel point une telle épreuve exige de soutien et de solidarité. Ici, l’attentat est vécu un peu comme une catastrophe naturelle. C’est un deuil privé, un malheur sans cause, une épreuve de la vie à surmonter. C’est aussi un match à gagner. La scène finale se lit sur le visage de la petite fille : à Wimbledon, elle est remplie de chagrin quand son champion accumule les revers ; mais voilà qu’il revient dans la partie, refait son retard et finit par l’emporter sur le fil. Tout se passe comme si à ce moment, le traumatisme de la perte la submergeait mais en même temps qu’elle pouvait seule devenir, à travers son héros, le champion de sa résilience. Cette fin nous remplit d’espoir. Mais comment une enfant pouvait parvenir à réaliser ce qu’un adulte a tant de mal à assumer ? Est-ce à elle seule – si forte malgré son jeune âge, diraient ses admirateurs – à se prendre en charge dans cette épreuve ? Comme si nous avions besoin de la voir non en victime mais en héroïne. Et d’en garder à jamais le souvenir dans notre cœur.